vendredi 26 novembre 2010

Où est passé Monsieur Bernard




Il fait froid,
Il fait soleil.
Il fait dur.
Jean Pierre, le kiosquier du 186 ouvre tout juste son légendaire établissement, livrant ainsi aux fous de l’aube leur drogue médiatique quotidienne, un coup de clochette rituel et le point métaphysique nécessaire à la bonne conduite de cette nouvelle journée.
Où est Monsieur Bernard ?

Des passants frigorifiés engoncés, engantés et enchapeautés filent sur le boulevard Sain Germain, pressés,  inattentifs, pour s’entasser plus loin, sur les terrasses brasérisées du Flore et des Deux Magots. Quelques feuilles congelées prématurément tiennent encore aux branches des platanes.
Ce soir les fades lueurs des leds bleues de Noël entretristeront le ciel germanopratin.
Deux japonaises cherchent la rue de Grenelle ou le métro Bac.
Les étudiants de médecine envahissent la rue …
Où est Bernard ?

On ne croisera plus la fière et frêle silhouette de Monsieur Bernard.
Veste de toile bleue et casquette grise vissée sur la tête, sa sacoche alibabesque de cuir fauve, un improbable mégot pré roulé coincé-collé  aux lèvres, il arpentait sans relâche les rue de l’ancien pré aux clercs, Jacob, Saints-Pères, Dragon. Il avait installé son siège social près du kiosque de Jean-Pierre, l’hiver sous la bâche et l’été devant les couvertures aguicheuses. Il y jonglait avec talent, deux bouchons, un bout de ficelle et trois cigarettes. Les commentaires fleuraient le sens populaire. Ségolène et Nicolas avaient se faveurs.

Il attendait la Révolution, la vraie. Il tenait commerce entre autres de chromos oubliés, de tableaux délaissés, de cendriers inédits et de littérature d’un autre temps, parfois aux limites d’une licence depuis longtemps explosée. Il nous reste ainsi d’authentiques catalogues de la manufacture d’armes de Saint-Etienne.
Il traitait ses clients, Monsieur Bernard.

Au retour de Septembre, Monsieur Bernard avait beaucoup maigri.
Il s’est évanoui.
Sans doute au paradis blanc des sages.
Et le Kiosque s’ennuie.
Rien n’y fait. Les vitrines de fête de Ralph Lauren et  Burberry, les nouveaux immigrés. Le Marché de Noël de la place. Les lumières orphelines.
Avec  Monsieur Bernard, c’est un peu de l’âme du Kiosque et  des gènes du boulevard qui part.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Monsieur pour ce si bel hommage à mon frère perdu de vue depuis si longtemps et retrouvé pour si peu de temps Claudie Ter Vartanian